Le Brutalisme.
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Définition
Le brutalisme du français béton brut, est un courant architectural radical apparu dans les années 1950, principalement en France avec l’architecte franco-suisse Le Corbusier (1887-1965) pilier du mouvement et au Royaume-Uni avec le couple d’architectes anglais Alison et Peter Smithson (1928-1993/1923-2003).
En réponse aux besoins de reconstruction urgents d’après-guerre, le brutalisme se caractérise par l’utilisation de matériaux industriels comme le béton, l'acier ou verre et une structure monumentale apparente avec des volumes sculpturaux et des formes géométriques franches.
Théâtre national de Londres (Royal National Theatre), dessiné par l'architecte Sir Denys Lasdun, construit entre 1976 et 1977.
Trouvant ses racines dans l’architecture moderniste européenne des années 1930, le courant adopte une architecture fonctionnelle et rationnelle pensée pour l’usage collectif en rationalisant les coûts, souvent intégré dans une volonté d’utopie sociale.
Apparition
L’un des premiers exemples reconnus de brutalisme est l’Unité d’habitation de Marseille, aussi appelée « Cité Radieuse », d’après Le Corbusier et construite en 1952. Pensée comme une ville verticale sur 17 étages, le bâtiment regroupe appartements, commerces, école, espace sportif, jardin sur le toit. Tout est pensé pour créer un lien social fort dans un environnement dense mais à taille humaine.
L’objectif est d'offrir à chacun un logement digne, intégré dans un tout cohérent, fonctionnel et autonome. Avec la volonté d’un avenir collectif, ordonné et équitable.
Le brutalisme est une réponse architecturale à la promesse moderne du progrès. Où l’architecture devient un outil pour améliorer la société.
Cette volonté de reconstruire des sociétés plus justes, notamment dans les quartiers urbains populaires, a fait du brutalisme un outil politique autant que architectural.
Utilisation
Le brutalisme s’est rapidement étendu à d’autres régions du monde dans les années 1960, chaque territoire a réinterprété le style à sa manière tout en gardant ses fondamentaux.
Avec une volonté, une représentation et une utilisation propres aux acteurs locaux, le brutalisme peut engendrer de nombreuses lectures et émotions.
Brutalisme et totalitarisme
"Panelaks" à Prague.
Le brutalisme est très populaire dans les pays communistes d’Europe de l’Est entre 1960 et 1980 où il a été utilisé à grande échelle pour les logements collectifs. notamment en Bulgarie, en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie avec les “Panelaks” (énormes complexes d’habitations en béton préfabriqué et construit à moindre coût).
“The House of Atomists” ou “The Ship”, à Moscou, est un complexe résidentiel, conçu par les architectes Vladimir Davidovitch Babad et Vsevolod Leonidovitch Voskresensky, entre 1972 et 1986. Réputé pour ses dimensions colossales, le bâtiment mesure 400 mètres de long et compte 980 appartements.
Le monument de Bouzloudja ou "Maison du Parti communiste bulgare", construite en 1981 sur le plus haut sommet de Bulgarie par le gouvernement communiste, est un monument historique et une salle de congrès panoramique du parti, le bâtiment n’est plus entretenu depuis la chute du régime en 1989.
Brutalisme et autonomie
La Trellick Tower à Londres construite en 1972 et imaginée par l’architecte hongrois Ernő Goldfinger (1902-1987). Le bâtiment possède une tour de service détachée des 175 appartements comprenant des ascenseurs et divers équipements.
Brutalisme et modernisme
La bibliothèque de l’Université de Californie (Geisel Library) à San Diego a été conçue en 1970 par l’architecte américain William Leonard Pereira (1909-1985). Le bâtiment est un chef-d'œuvre de l'architecture brutaliste reconnu dans le monde entier.
Brutalisme et spiritualité
Le Sexto Panteón (Sixième Panthéon) à Buenos Aires, est une nécropole souterraine, plus grande construction d'architecture moderne dans le domaine funéraire. Conçue par Ítala Fulvia Villa (1913-1991), l'une des premières femmes architectes et urbanistes argentines, pionnière du modernisme sud-américain.
Le couvent de La Tourette et son église proche de Lyon dans la commune d’Éveux, construit en 1956 par Le Corbusier qui montre que le brutalisme s'intègre parfaitement aux bâtiments religieux. L’édifice est classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2016.
Brutalisme et tradition
Le centre international de conférences de Kyoto, achevé en 1966 par l’architecte japonais Sachio Otani (1924-2013), est un chef-d'œuvre du brutalisme réinterprétant l'architecture japonaise traditionnelle.
Brutalisme et tourisme
L’hôtel du Lac de Tunis est un monument emblématique du brutalisme et de la capitale tunisienne, construit en 1973 par l’architecte italien Raffaele Contigiani (1920-2008).
Le paradoxe utopique du brutalisme
La frontière entre utopie et dystopie est fine car ce sont souvent les mêmes formes qui, selon l’usage qu’on en fait, peuvent élever ou écraser, inspirer ou aliéner. Le béton brut est le reflet des intentions de la société qui l'entoure.
Les structures monumentales aux coupes franches dans une géométrie parfaite reflétant une société idéale rêvée, sont souvent les mêmes décors des dystopies fictives les plus froides et déshumanisées.
Le QG de la Tyrell Corporation, dans les films Blade Runner (Ridley Scott, 1982 & Denis Villeneuve, 2017), directement inspiré de l’architecture brutaliste, est le cœur d’un monde asservi par le capitalisme technologique.
Les logements pour tous, fonctionnels et cohérents, deviennent des prisons standardisées bien pensées. Les espaces collectifs et la vie communautaire sont propices au contrôle et à la surveillance des foules. Les volumes monumentaux des structures deviennent les formes écrasantes d’un pouvoir ultra capitaliste sans considération pour la vie à échelle humaine.
Dans la réalité, ce glissement s’est souvent produit non pas à cause de l’architecture elle-même, mais par le manque d’entretien, de concertation avec les habitants, ou encore le désengagement politique dans la gestion et le réaménagement des espaces.
Un des meilleurs exemples est le quartier populaire de Scampia (vele di scampia), dans la banlieue de Naples, en Italie. Imaginé par l'architecte Francesco Di Salvo (1913 - 1977) et bâtie grâce à une loi sur les logements sociaux entre les années 1970 et 1990. Ce quartier, rapidement délaissé par les pouvoirs publics, est devenu très vite défavorisé et en mauvais état. La Camorra, la mafia napolitaine s’y est fortement implantée et en a pris le contrôle.
Sur 7 bâtiments initiaux, 3 ont été rasés entre 1997 et 2003 et 3 autres en 2019.
Aujourd’hui
Avec la modernisation des techniques de construction et des paysages urbains, le brutalisme s'intègre parfaitement dans l'environnement et dans la skyline des grandes métropoles mondiales. Il séduit par son esthétique forte, authentique et radicale.
l'immeuble De Rotterdam dans la ville éponyme au Pays-Bas, achevé en 2013, imaginé par l'architecte Rem Koolhaas (1944) et le cabinet d'architecture OMA. Est une ville verticale composée de trois tours mixtes, abritant des bureaux, des appartements, un hôtel, des salles de conférence et de sport, des boutiques, des restaurants et des cafés.
Ces villes verticales autonomes, interconnectées et intégrées dans des centres dynamiques et modernes seront peut être la concrétisation réelle des rêves d'utopies sociales initiateurs du brutalisme en 1950.